Une cinquantaine de femmes quitteront Paris ce dimanche. Direction le Vatican, dans l’espoir d’une audience privée avec le pape au cours de laquelle elles aimeraient lui demander de rétablir la liberté de cette liturgie.
Ce ne sont pas des « marcheuses » politiques. Et pas davantage des « marcheuses » religieuses. Ce sont 45 mères de familles que n’effraient pas la perspective d’une longue marche. Avec ce point commun : un de leurs enfants est prêtre. A pied, elles ont décidé de partir de Paris à… Rome, ce dimanche. Leur périple est un combat spirituel, une prière : le 30 avril, jour de leur arrivée, elles entendent supplier le pape François pour qu’il revoie ses décisions contre la messe, dite en latin, célébrée selon le missel Jean XXIII en vigueur jusqu’au Concile Vatican II (1962-1965).
En juillet 2021, François a en effet totalement restreint la liberté pour ces messes dites « traditionalistes » ou encore de « Saint Pie V ». Une décision juridique drastique qui touchait 250 lieux de cultes et environ 60 000 fidèles en France dont beaucoup de jeunes et de familles.
Devant la protestation unanime de ces catholiques, le Pape a tout récemment précisé, le 21 février, à la Fraternité Saint-Pierre – une congrégation religieuse identifiée à ce rite qui compte 340 prêtres d’une moyenne d’âge de 38 ans, et 185 séminaristes – qu’elle pouvait continuer. Mais un flou considérable demeure pour les paroisses et pour d’autres instituts religieux. Sans parler du zèle de certains évêques ne supportant pas cette sensibilité « tradi » – ou soucieux de se faire bien voir à Rome pour leur carrière -, qui ont subitement durci le ton contre cette famille de fidèles.
Un profond malaise chez les catholiques
Ce qui créé un profond malaise chez ces catholiques dont ces « mères » voudraient témoigner. Ces milieux sont souvent très pratiquants et engagés. Ils demandent « justice » car ils estiment subir une double peine. Par fidélité catholique, ils ont refusé de suivre Mgr Lefebvre quand il a ordonné, contre Rome, des évêques à Ecône en 1988, ce qui a pu être appelé un « schisme ». Rome qui « récompenserait » aujourd’hui cette fidélité en étouffant sur un mode autoritaire le développement très dynamique de ces traditionalistes. L’un d’eux témoigne : « nous sommes dans le désarroi. On nous regarde aujourd’hui comme des lépreux, on se sent rejetés par notre propre mère… C’est rude ! »
Malaise à ce point éprouvé qui a poussé une cinquantaine de familles à se regrouper dans une association baptisée « la voie romaine » à l’origine de cette initiative. Dimanche 6 mars, après une messe à 9h30 dans l’église Saint Roch à Paris, ces mères marcheuses recevront une bénédiction à 11h sur le parvis. Un pique-nique suivra dans le parc de Saint-Cloud ouvrant une première marche vers l’église Saint-Symphorien de Versailles avec un autre « temps de prière » à 15h30, les mères de famille partant dans la foulée pour leur première étape à Vézelay.
Une odyssée
L’organisation de cette odyssée est minutieuse. Ces 45 femmes sont des mères de prêtres, mais elles ont eu aussi d’autres enfants, aujourd’hui mariés : elles sont donc toutes grand-mères ! Sept d’entre elles prévoient de faire tout le trajet, les autres les accompagneront sur certaines sections, mais la distance est telle que quelques tronçons du parcours se feront en voiture pour arriver à temps, place Saint-Pierre de Rome, le 30 avril. Un site « lavoieromaine.com » permettra de suivre l’itinéraire et sa progression.
Ces mères de prêtres prêtes à tout pour soutenir la vocation de leur fils ne savent même pas, en partant, si elles seront reçues par le pape. Une audience privée a été sollicitée auprès de François dont les organisateurs attendent toujours la réponse, car ces femmes sont aussi porteuses de « milliers de lettres » destinées au pape. Elles sont rédigées par des laïcs, des familles qui ne comprennent pas l’empêchement soudain de ce rituel catholique plusieurs fois centenaires même s’il est marginalisé. Elles supplient donc le pape de revoir sa décision « dans un esprit synodal » assure l’organisation.
« Des milliers de catholiques demeurent dans l’incompréhension depuis plusieurs mois »
Benoît Sévillia, l’un des organisateurs de la marche
L’un des organisateurs, Benoît Sevillia, en explique l’esprit : « ces lettres expliquentla foi de ces catholiques avec une grande piété filiale à l’égard du Saint-Père, et unplein amour de l’Eglise. Tous espèrent que le pape entendra la supplique de cesmilliers de catholiques qui demeurent dans l’incompréhension depuis plusieursmois. » Cet avocat de métier observe : « Ce qui nous a surpris, c’est que 40% deslettres reçues ont été écrites par des fidèles n’assistant que ponctuellement à lamesse célébrée en rite extraordinaire, et qui ont témoigné combien ce rite avait pules marquer, avait compté dans leur conversion, et combien ils considèrent qu’il estune immenserichessepourl’Eglise».
Quant à la récente précision apportée par le pape à la Fraternité Saint-Pierre, le 21 février, elle ne semble pas avoir découragé cette initiative, mais elle l’aurait plutôt renforcée : « L’accord donné à la Fraternité St Pierre nous a au contraire rempli d’espoir, assure Benoît Sévillia. La démarche entamée par cet institut a obtenu des résultats presque inespérés, dont nous rendons d’ailleurs grâce. Mais cet accord, stricto sensu, ne concerne pas les autres instituts traditionnels, ni surtout les communautés religieuses et tous les prêtres diocésains de l’Église universelle pour lesquels perdurent une vive inquiétude quant à leur liberté de célébrer la liturgie selon le missel de saint Jean XXIII. »
Stéphanie, mère d’un prêtre du diocèse de Versailles, met une dernière main à son paquetage : « Ma famille ne fréquente pas habituellement la messe selon l’ancien rite, que ne célèbre pas non plus mon fils prêtre. Mais il y a une trentaine, d’années nous avons découvert la messe traditionnelle, à laquelle nous assistons à l’occasion. La beauté et la richesse de cette liturgie nous ont beaucoup apporté sur le plan spirituel ».
Diane, en revanche, prend aussi le chemin de Rome en tant que mère d’un prêtre de la Fraternité Saint-Pierre. Elle explique : « Des centaines de catholiques nous ont écrit pour dire leur attachement au rite traditionnel et leur espoir que cette liturgie reste autorisée dans l’Église. Nous allons porter leurs lettres au pape comme des enfants qui vont voir leur père, afin de lui présenter respectueusement une supplique ».
Un prélat italien resté de marbre
Et si cela ne marchait pas ? Cela fait trente semaines par exemple que des manifestants très pacifiques, chapelets à la main, se présentent chaque samedi devant la nonciature apostolique de Paris pour demander la même révision au représentant du pape en France, Mgr Celestino Migliore. Sourd à ces appels, ce prélat italien, diplomate pourtant chevronné, reste de marbre. Sa porte, qui se serait ouverte dans le quart d’heure selon l’enseignement évangélique basique à une manifestation de réfugiés ou de tout autre catholiques engagés, reste fermée comme un coffre-fort…
Benoît Sévillia répond : « ces mères sont convaincues que cette marche peut aboutir : l’exemple du décret récent du pape François réaffirmant le charisme liturgique de la Fraternité St Pierre montre que le pape peut agir comme un père et se montrer à l’écoute de ses enfants. Bien-sûr les mères de prêtres vont demander au pape François de revenir sur son motu proprio sur la liturgie ancienne. Mais si ce but n’est pas atteint, les mères auront montré à l’Église, par cette marche, la force de l’attachement au rite traditionnel. Ce sera aussi l’occasion de rétablir la vérité après les insinuations très malveillantes de ceux qui rêvent de voir disparaître cette frange de l’Église. Et puis les mères vont prier pour nous, pour tous les prêtres, pour l’Église. Sans oublier, l’Ukraine bien sûr qui sera au cœur de leurs intentions. »